Texte TFE 2021-22 de Francoise Dupal -Petit velo

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PETIT VÉLO

DE FRANÇOISE DUPAL © Sept. 2020

pdf original: Fichier:Texte TFE 2021-22 de Françoise Dupal -Petit vélo.pdf

p.2

ACTE I / LES JOUETS DES QUATRE FILLETTES
LIEU : Grenier se rapprochant plus à l’univers d’Hoffmann qu’à celui de
Disney.
PERSONNAGES :
CAMION (de Fillette 1)
PETIT VÉLO (de Fillette 2)
POUPÉE (de Fillette 3)
DOUDOU (de Fillette 4)
VIEUX JOUET
AUTRE VIEUX JOUET

ACTE II / LA MÈRE
LIEU : Chambre de soins intensifs dans un centre pour grands brûlés.
PERSONNAGES :
MÈRE
INFIRMIER
INFIRMIÈRE

ACTE III / DES PERSONNES INTERROGÉES PAR LES JOURNALISTES
LIEU : Régie technique d’une chaîne d'info en continu. Sur des moniteurs et des
écrans, on voit différentes personnes interrogées par des journalistes et un
présentateur du journal télévisé.
PERSONNAGES :
VOISINE
PRÉSENTATEUR DU JT
INSTITUTEUR
POMPIER
PROCUREUR DU ROI
FEMME
NOTA BENE : «J’ai descendu dans mon jardin » (Gentil Coquelicot) et « Dansons la
capucine » sont libres de droit.

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ACTE I / LES JOUETS DES QUATRE FILLETTES
Dans un grenier, plusieurs jouets se mettent à parler parmi d’autres jouets restant
muets.
POUPÉE, se mettant à pleurer
Bouhouhouhou…. Bouhouhouhou…
CAMION
Qu’est-ce que t’as, poupée ?
POUPÉE
Bouhouhouhou… Elle m’a oubliéééeeeeee ! Houhouhou….
Camion et Petit Vélo roulent jusqu’à la Poupée.
DOUDOU
C’est bizarre… la mienne non plus n’est pas montée.
Petit Vélo, arrête s’il-te-plaît… Tu grinces !
PETIT VÉLO
Ma chaîne a besoin d’être lubrifiée… Et c’est pas de ma faute si mes petites
roues couinent !
POUPEE, reniflant
Elle n’a jamais fait ça… m’oublier, moi !!!
DOUDOU
Ma petite non plus n’a jamais fait ça !
Depuis qu’elle est née, elle ne peut pas dormir sans moi.
Elle m’a chuchoté : je reviens tout de suite après le souper.
POUPÉE
La mienne aussi !
PETIT VÉLO
Moi, la mienne a dit : je vais te mettre un petit peu d’huile quand je reviendrai…
sinon, maman va encore flipper si tu fais trop de bruit.
CAMION
Moi, la mienne, elle m’a rien dit… Elle a juste crié : j’ai faim ! J’ai faim !
Je mangerais un pachyderme !

p.4

DOUDOU
C’est parce que t’es tout nouveau… Elle ne te connait pas encore.
Ça prend du temps pour tisser des liens affectifs…
Tu sais pas comment ça fonctionne ici.
PETIT VÉLO
Tu ne vas pas tarder à le découvrir.
CAMION
Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
Temps. Silence.
POUPÉE
Rien, rien.
CAMION
Il y a quelque chose que je devrais savoir ?
Silence gêné.
VIEUX JOUET
Pour avoir la paix, elle leur achète n’importe quoi…Pfff, un camion pour une
gamine !
AUTRE VIEUX JOUET
T’es jaloux parce que tu ne sers plus.
VIEUX JOUET
Toi non plus, tu ne sers plus…
AUTRE VIEUX JOUET
Au moins, maintenant, j’ai la paix.
VIEUX JOUET
La paix, la paix… C’est vite dit ! Avec ces cris continuels…
AUTRE VIEUX JOUET
C’est mieux que d’être jeté par terre ou lancé contre les murs…
CAMION
Elles vous martyrisent ?

p.5

PETIT VÉLO
Pas elles. Non. Pas elles. Elles, elles sont toujours gentilles avec nous.
DOUDOU
Pas comme leur…
POUPÉE
Une folle ! Une vraie sorcière…
PETIT VÉLO
Et personne ne fait rien… Personne. Pas même la voisine…
CAMION
Elles sont peut-être punies ?
DOUDOU
Non. Non, elles ne sont jamais punies comme ça…
PETIT VÉLO
Si elles étaient punies, on le saurait. On aurait déjà entendu leur mère gueuler
pendant au moins une heure…
DOUDOU
Si pas plus…
PETIT VÉLO
Ça commence toujours comme ça : on entend des bruits de vaisselle cassée,
puis des coups dans les murs, des claquements de porte…
Et sa voix à elle, criarde, grinçante comme une fourchette qui raclerait une
casserole.
DOUDOU
Pas de détails s’il-te-plaît…
PETIT VÉLO
On les entend courir dans l’escalier. Huit petites jambes qui veulent s’échapper
de l’enfer. Elles cherchent un appui sous leurs pieds et dans leur tête.
Elles accourent, ouvrent la porte du grenier et c’est la délivrance.
Elles nous prennent dans leurs bras…
VIEUX JOUET
Des torrents de larmes se mettent à couler.

p.6

AUTRE VIEUX JOUET
Des torrents ? Un tsunami, oui !
DOUDOU
On est toujours là pour les accueillir… pour les consoler.
POUPÉE
Moi, j’aime bien consoler la mienne… Elle me serre tout contre elle et essuie
ses larmes dans mes cheveux.
DOUDOU
Moi, je laisse la mienne mordiller mon oreille. Ça me fait un peu mal, mais ça
lui fait du bien.
POUPÉE
Je lui chante tout bas une chanson… une chanson douce et on se berce.
PETIT VÉLO
Quand la mienne est triste, elle m’enfourche et se met à tourner en rond. Elle
tourne, tourne, tourne tant que ça me donne le tournis. Je fais tinter ma sonnette
pour qu’elle s’arrête. Parfois, elle ne m’entend même pas.
DOUDOU
Ça m’inquiète un peu quand même…
CAMION
Vous ne pensez pas qu’elles seraient peut-être allées chez leur père ?
DOUDOU
Leurs pères ? On les a jamais vus ou entendus, ceux-là. Des fantômes…
CAMION
Chez leurs grands-parents ?
POUPÉE
Non, les grands-parents, ils envoient toujours leurs cartes ou leurs cadeaux par la
poste. Eux non plus, on ne les a jamais vus. Moi, j’ai été envoyée en colis
recommandé international comme cadeau de Noël.
CAMION
De là ton accent bizarre… Ah, je sais : elles sont chez des amies ! Pour une
soirée pyjama ?

p.7

DOUDOU
Elles n’ont pas d’amies.
POUPÉE
Elles n’ont que nous !
CAMION
Elles sont en train de regarder un dessin animé !
POUPÉE
Mais non. Jamais après le souper.
DOUDOU
Après le souper, elles montent directement et jouent avec nous pendant une
heure.
CAMION
Elles prennent un bain !
POUPÉE
Le bain, c’est après le grenier et juste avant le dodo.
CAMION
Elles se racontent des histoires, toutes les quatre, cachées sous la table de la
cuisine. La nappe devient une cabane…
PETIT VÉLO
Les cabanes, c’est ici qu’elles les font.
CAMION
Ah, ben, j’sais plus alors…
PETIT VÉLO
Mais qu’est-ce qu’elle fout à la fin ? J’ai besoin d’exercice, moi !
Je vais finir par me rouiller !
Camion réfléchit, puis klaxonne.
CAMION
J’ai une idée !
VIEUX JOUET
V’là le nouveau venu qui se la pète !

p.8

CAMION
Et si on les attirait ici ?
POUPÉE
Comment ? On ne peut pas ouvrir la porte.
CAMION
Ben, on a qu’à faire du bruit…
PETIT VÉLO, faisant tinter sa sonnette
Bonne idée !
DOUDOU
Ma petite chérie, mon petit bébé, c’est moi, ton doudou tout doux !
POUPÉE, se met à crier
Fillette ! Ma fillette adorée ! Viens me chercher !
CAMION, se met à klaxonner
Eh, ma grande, viens jouer ! Tûuut, tûuut, tûuut !
PETIT VÉLO
Allez, tous ensemble ! Vous, aussi, les vieux jouets cassés. Faites du bruit pour
les petites ! Faites du bruit !
Tous les jouets se mettent à faire du vacarme.
VIEUX JOUET
Je retrouve ma jeunesse !
AUTRE VIEUX JOUET
Ȏ, bonheur, ô joie !
Les jouets y vont de plus belle. Soudain, Petit Vélo cesse de sonner, en alerte.
PETIT VÉLO
Attendez… Chut !
AUTRE VIEUX JOUET
Ah non ! Pour une fois qu’on s’amuse ici !

p.9

PETIT VÉLO
Chut !!!
VIEUX JOUET
Tu ne vas pas jouer les rabat-joies !
PETIT VÉLO
Arrêtez !!!
POUPÉE
Silence !
Tous les jouets s’immobilisent.
CAMION
Tu as entendu quelque chose ?
PETIT VÉLO
Qu’est-ce qu’ils ont, les chiens, à hurler comme ça ?
DOUDOU, en reniflant
Y’a comme une odeur bizarre, vous ne trouvez pas ?

p.10

ACTE II / LA MÈRE
Une chambre de soins intensifs.
La Mère, alitée, est couverte de bandages et commence à s’agiter.
MÈRE
Juste un petit peu… encore… un tout petit peu.
Elle rit.
Je suis légère… légère !... Je m’envole.
Je flotte… Je flotte !
Je vole !
Un infirmier arrive avec une infirmière. Ils vérifient les paramètres de la Mère,
puis changent certains pansements tout en parlant.
INFIRMIER
Elle délire.
INFIRMIÈRE
C'est moins pire que tout à l’heure.
INFIRMIER
Je ne trouve pas. Regarde, son pouls s’accélère.
MÈRE
Allez, les filles, réveillez-vous ! Je vais mettre de la musique. On va danser toute
la nuit. On va faire un karaoké. C’est une bonne idée, ça. Un karaoké.
On va rire… On va chanter !
Temps.
Fêter la fin de ce foutu confinement.
Temps.
Les filles ! Hop, hop, hop, debout !
La Mère s’agite, tressaille.
J’ai dit : debout !
Jamais une pour m’entendre…
INFIRMIÈRE
Je ne sais pas si je peux...
INFIRMIER
Pourquoi tu dis ça ?

p.11

INFIRMIÈRE
Un problème de conscience.
INFIRMIER
On ne doit pas se poser de questions.
On est juste là pour soigner, pour soulager.
INFIRMIÈRE l’interrompant
Soulager ! T’es sérieux ?
INFIRMIER
Un patient, c’est un patient… Peu importe ce qu’il est, ce qu’il...
INFIRMIÈRE, l’interrompant
C’est vite dit !… Non, moi, je peux pas. Je vais demander un transfert.
INFIRMIER
Quel service ?
INFIRMIÈRE
Post-réa…Les rescapés de la Covid. Avec eux, pas de danger…
Et là, au moins, y’aura pas tout ce monde dans le couloir !
Comment veux-tu te concentrer avec tous ces gens qui font le pied de grue
derrière la porte ?
Temps.
Non, non …
Je vais demander un transfert en urgence.
INFIRMIER
Ouais, ben en attendant ton transfert, fais ce que tu dois faire.
Concentre-toi sur les pansements.
Temps.
Qu’est-ce qu’il t’a dit, Docteur Dumont ?
INFIRMIÈRE
Elle se droguait à l’éther… c’est comme ça que…
INFIRMIER
À l’éther ? C’est pas un truc du siècle dernier, ça ?
INFIRMIÈRE
Paraît que ça revient à la mode…

p.12

INFIRMIER
Faut être fou pour se cramer le cerveau comme ça.
INFIRMIÈRE
Qu’est-ce que tu veux… elle a un petit vélo dans la tête.
MÈRE
C’est la nuit des étoiles. On va faire des vœux… tout plein de vœux.
Allez, chacune on fait un vœu.
Je commence…
Temps.
Je veux…
Je veux…
Je veux qu’on parte loin d’ici…
Loin de notre vie,
Loin de ce taudis.
Temps.
Mais, est-ce qu’on peut souhaiter ce qu’on ne veut plus ?
Est-ce qu’on peut ?
Temps.
Je ne veux plus…
Je ne veux plus entendre pleurer. Non.
Si j’en entends encore une pleurer, ne serait-ce qu’une seule fois, je ne sais pas
ce que je vais faire…
Long temps.
Ce bruit !
Ce bruit ! Quel vacarme !
Je ne veux plus entendre de bruits.
Je ne veux plus entendre de cris.
Veux plus entendre de pleurs.
Temps.
Je peux plus…
Je peux plus…
Veux être toute seule.
Temps.
Des vacances !
Des vacances sur une île.
Temps.
Non…
Dans un champ.
Un champ de lavande.
Non ! De coquelicots…

p.13

Je me ferai des couronnes de fleurs.
Mangerai les graines de pavot… pour m’endormir.
Des graines de pavot…
Je veux dormir…
Dormir !
Ne plus penser… Ne plus penser.
INFIRMIER
C’est plus qu’un petit vélo dans la tête, ça ! Un clou, tu veux dire…
La Mère se met à chanter tout doucement, puis de plus en plus fort.
MÈRE
« J’ai descendu dans mon jardin
J’ai descendu dans mon jardin
Pour y cueillir du romarin
Gentil coquelicot, Mesdames
Gentil coquelicot nouveau
J’n’en avais pas cueilli trois brins
J’n’en avais pas cueilli trois brins
Qu’un rossignol vint sur ma main
Gentil coquelicot, Mesdames
Gentil coquelicot nouveau
Il me dit trois mots en latin
Il me dit trois mots en latin
Que les hommes ne valent rien
Gentil coquelicot Mesdames
Gentil coquelicot nouveau »
Les filles, chantez avec moi !
« Que les hommes ne valent rien
Que les hommes ne valent rien
Et les garçons encore moins bien
Gentil coquelicot Mesdames
Gentil coquelicot nouveau
Des dames, il ne me dit rien
Des dames, il ne me dit rien
Mais des d’moiselles beaucoup de bien »
Temps.
Les filles…
AHHHHHHH !!!!!!!!!!!!!
J’ai mal !
J’ai mal !

p.14

Les moniteurs se mettent tous à sonner. L’infirmier sort un Smartphone de sa
poche et se met à taper un texto.
L’infirmière inspecte la pompe PCA.
INFIRMIÈRE
J’augmente la dose…
INFIRMIER
J’avertis Docteur Dumont.
La mère se calme peu à peu.
MÈRE
« Dansons la capucine
Y a pas de pain chez nous
Y en a chez la voisine
Mais ce n'est pas pour nous… »
Temps.
Maudite voisine…
Maudite voisine… Je la déteste.
Temps.
Et, toi, mon cœur, qu’est-ce que tu souhaites ?
Vas-y, toi… Fais un vœu…
Temps.
Shhhhh… Faut pas le dire à tes sœurs…
Ça reste entre toi et moi.
Faut pas le dire à tes sœurs…
INFIRMIÈRE
V’là qu’elle pédale dans la semoule !
INFIRMIER
Elle ne sait pas.
INFIRMIÈRE
C’est pas possible !
INFIRMIER
J’suis sûr qu’elle a tout oublié…
INFIRMIÈRE
Ben, ce n’est pas moi qui vais lui dire.

p.15

ACTE III / LES PERSONNES INTERROGÉES PAR LES JOURNALISTES
Régie technique d’une chaîne d'info en continu. Sur des moniteurs et des écrans,
on voit un présentateur du journal télévisé et différentes personnes interrogées
par des journalistes.
Les écrans n’émettent de sons que lorsque la personne parle, le reste du temps
on ne voit que leurs lèvres bouger.
Une personne revient régulièrement : la voisine.
VOISINE
Un jour, c’est une gosse, le lendemain, elle en a deux ou trois autres, sans
compter les chiens. On ne sait jamais, ça change tout le temps, n’empêche, les
fillettes, elles se ressemblent toutes. On voit bien que c’est la même mère.
Quatre gosses de quatre pères différents… et elle a quoi ? Même pas trente ans !
Ouais, ça change de mec comme de chemise. Et les voitures défilent… si vous
saviez !
PRÉSENTATEUR DU JT
Dans le quartier, c’est la consternation…
VOISINE
Le tout premier jour qu’elle est arrivée, elle a mis toutes ses poubelles, vous
savez, les cartons du déménagement, juste sous la fenêtre de mon salon.
Pas chez elle, non, chez moi ! J’ai tout de suite su que quelque chose tournait
pas rond.
PRÉSENTATEUR DU JT
Il est encore trop tôt pour déterminer les causes réelles…
VOISINE
Elle, y’a pas moyen de lui parler sans qu’elle vous agresse. Elle n’arrête pas de
casser les branches de mes arbres… et quand on malmène des plantes, c’est
qu’on n’aime pas la vie… Non, on n’aime pas la vie…
PRÉSENTATEUR DU JT
… Une tentative de suicide serait…
VOISINE
… quand c’est pas ses chiens qui…

p.16

PRÉSENTATEUR DU JT
… La mère est dans un état critique…
VOISINE
Sur mon trottoir ! Oui !
PRÉSENTATEUR DU JT
… la police est présentement dans l’incapacité de rejoindre les pères des petites
filles âgées de …
VOISINE
Ils sont où, les pères, hein ? Moi, je vous le demande !
Y’a plus d’hommes vrais… non, y’a plus d’hommes.
PRÉSENTATEUR DU JT
… l’horrible drame se serait produit peu après…
VOISINE
Plus les jours passaient, plus ça devenait difficile.
C’est quoi encore le mot ?
Je l’ai sur le bout de la langue… Temps.
Vous savez… quand ça devient de plus en plus…? Temps.
Quoi ? Temps.
Ah, oui, c’est ça ! Merci.
« Crescendo »… ça allait en crescendo.
Les bruits, les cris… les courses dans les escaliers et tout le tremblement…
(nappe sur voisine assise)
PRÉSENTATEUR DU JT
Les sapeurs-pompiers de la zone de secours de …
(lui couper la parole !)
POMPIER
En vingt ans de carrière, je n’ai jamais vu ça. C’est… c’est tout bonnement
impensable une chose pareille…
VOISINE
Pourquoi j’ai rien dit ? Pour qu’on m’accuse d’être la pipelette du quartier ?
Ah, non ! J’suis pas une commère. Et les potins, j’en ai rien à cirer…
Temps. Je tiens à ma tranquillité, moi !
POMPIER
Plusieurs de mes collègues sont traumatisés. Ce sont aussi des papas et quand on
essaie de sauver… (Retenant ses larmes.) Excusez-moi…

p.17

VOISINE
Et pourquoi vous me jugez, moi ? Pourquoi pas les autres ?
Les autres aussi devaient entendre, devaient voir. Ils z’étaient pas sourds,
aveugles ou muets !
(nappe + voix instit )
INSTITUTEUR
Compte tenu du choc auprès des enseignants et des élèves, l’école restera fermée
toute la journée de demain.
(nappe )
PRÉSENTATEUR DU JT
Le procureur du Roi s’est rendu sur place…
PROCUREUR DU ROI
Plusieurs questions subsistent…
INSTITUTEUR
Nous allons mettre en place une cellule d’aide psychologique pour leurs
camarades de classe et le personnel enseignant.
POMPIER
Avec la canicule et le confinement dans cette petite chambre, la température est
rapidement montée à plus de trente-cinq degrés…
PROCUREUR DU ROI
Tant que nous n’aurons pas interrogé la mère…
Sur un écran, on aperçoit une photo, genre selfie, d’une jeune femme souriante.
Une bande noire recouvre ses yeux.
POMPIER
… le flacon d’éther qui serait à l’origine de l’explosion…
VOISINE
Qu’est-ce qu’elle pouvait bien faire avec huit cent millilitres d’éther ? Hein ?
Huit cent millilitres !
Sur un autre écran apparaît une autre photo, cette fois floutée, de la Mère.
POMPIER
C’est un produit extrêmement inflammable et volatil, et c’est un miracle si
l’incendie qui s’est propagé jusqu’au toit n’ait pas endommagé les habitations
voisines.

p.18

PROCUREUR DU ROI
Son état psychique, mental, s’est sans doute détérioré avec cette longue période
de confinement, mais rien ne laissait présager…
VOISINE
Pourquoi j’ai rien fait ? Et vous, qu’est-ce vous auriez fait à ma place ?
INSTITUTEUR
On peut déposer ses messages de condoléances en ligne sur les réseaux sociaux
ou bien sur le site : trois fois « W »…
Sur plusieurs écrans apparaissent aussitôt des messages de condoléances.
Twitter :
« TU N’ES PLUS LÀ OÙ TU ÉTAIS, MAIS TU ES PARTOUT LÀ OÙ JE SUIS.
– VICTOR HUGO »

Facebook :
« Mes prière vont vers c petite amours qui sont parti ci brutallement ;
c trop injuste ! »

On voit que quelqu’un est en train d’écrire un message à la suite, les lettres
apparaissent au fur et à mesure :
« Je pense à toi et te garderai toujours dans mon cœur. »

p.19

Plusieurs pouces « J’aime » et des smileys de solidarité apparaissent aussitôt
sous le message.

Instagram :
« Quatre étoiles se sont éteintes à jamais

»

« Trop triste ! »
VOISINE, sur un ton de confidence
Des fois, j’en entendais une pleurer… ça pouvait durer des heures. Des heures !
Je savais pas quoi faire… Appeler la police ? Temps. La police…
La police a bien d’autres chats à fouetter !
INSTITUTEUR
Avec l’accord du Collège communal, nous allons planter quatre arbres dans la
cour d’école en hommage aux victimes.
VOISINE
Les chiens jappaient… jappaient ! C’est les chiens qui m’ont alertée…
C’était pas normal. La voiture devant la maison, ça voulait dire qu’elle était là.
Les chiens ne jappaient jamais quand elle était là.
Des jappements bizarres… comme des hurlements de loups.
PROCUREUR DU ROI
… nous devons attendre le rapport du médecin légiste…

p.20

FEMME, regardant fixement la caméra et se mettant à pleurer
Long temps.
Je ne peux pas y croire ! De vrais petits anges ! Elles passaient devant la maison
pour aller à l’école… en me faisant toujours des signes… (Elle agite la main.)
Non ! Je peux pas le croire !
Elle agite ses mains devant la caméra et s’éloigne.
PROCUREUR DU ROI
Plus de commentaires, s’il-vous-plaît.
PRÉSENTATEUR DU JT
Le parquet vient tout juste de nous le confirmer : selon les premiers éléments de
l’enquête, les fillettes étaient déjà décédées lors de l’explosion dans la maison
familiale. Il s’agirait donc d’un quadruple infanticide suivi d’une tentative de
suicide ou, peut-être, de l’explosion accidentelle d’un flacon d’éther qui a
gravement …
On voit la voisine, tendue, regardant autour d’elle.
VOISINE
Long Temps.
Et maintenant… ce silence.
Sur un des écrans on voit le Petit Vélo de l’acte I complètement calciné.
Une main d’enfant vient y déposer, à côté, un doudou, tandis qu’une main
d’adulte y dépose quatre roses blanches.