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File:Texte TFE de Stephane Mansy -Les élémentaires oppositions 2021-22 .pdf

APPEL À CANDIDATURES - POUR L'ÉCRITURE D’UN TEXTE DE THÉÂTRE - POUR LE TRAVAIL DE FIN D'ÉTUDES DE L'ÉCOLE DE RÉGIE GÉNÉRALE DE SPECTACLES À LA FABRIQUE DE THÉÂTRE.


« Les élémentaires oppositions »
Stéphane Mansy – né le 20 octobre 1974 / 132, rue Conreur à 7100 – La Louvière.

ACTE 1 : Le personnage de l’Eau – représenté par un voile à l’apparence anthropomorphe – provoque la rencontre avec le personnage du Soleil – représenté par un kaléidoscope scintillant et mobile. Il est donc important sur le plan scénographique de faire apparaître l’antagonisme de l’Eau et du Soleil avec l’utilisation d’autres éléments ou accessoires venant renforcer l’opposition.

Eau : Quelle lumière attirante ! Elle m’éblouit. M’enivre de ces scintillements énigmatiques. J’aimerais tellement te connaître mieux, découvrir qui tu es au plus profond de toi. Comprendre ce que tu ressens dans tes élémentaires sensations d’exister au monde…
Soleil : Reste bien à distance. Ne t’approche surtout pas de moi.
Eau : Qu’ai-je bien pu faire pour que tu te méfies à ce point ?
Soleil : Tout ce que tu représentes à mes yeux m’effraye.
Eau : C’est normal. Le système nous oppose en permanence. Les différences sont présentées continuellement comme des menaces potentielles. On ne capitalise que trop rarement sur les indispensables complémentarités…
Soleil : L’opposition est nécessaire ! Fondamentale, même. Tu ne te rends même pas compte du danger que tu incarnes. Et puis, que cherches-tu réellement en essayant de m’appâter ?
Eau : Je voudrais seulement que ta répulsion cesse à mon égard. Je comprends ta vigilance mais ne me méprise pas de la sorte. Je ne te veux aucun mal. (silence) Fais-moi confiance, juste un peu…
Soleil : Confiance en toi ? Alors que tu pourrais m’anéantir, me dissoudre, m’absorber dans tes abysses ? Pure folie. Tu es le détestable reflet du mal absolu…
Eau : Tu as peur de moi alors que je donne la vie depuis des milliards d’années ? Sans ma présence, l’existence du Vivant n’aurait jamais pu se matérialiser. Comment pourrais-je avoir cette volonté destructrice alors que mon existence est intrinsèquement liée à la vie ?
Soleil : Des femmes, des enfants, des hommes meurent dans les flots morbides de tes ondulations marines. Flux et reflux des corps en suspension. Et tu parles de donner la vie ? Préserve déjà celles que tu annihiles…
Eau : Tu es abjecte ! Jamais je n’ai voulu pareille destinée pour tous ces malheureux fuyant la misère et la guerre. Comment oses-tu m’accuser de la sorte ? Et puis, ils fuient aussi ton désastre, la sécheresse que tu répands dans toutes ces contrées où plus rien ne pousse par ta tyrannique domination.
Soleil : Et par la tienne, ne l’oublie pas. Ta malfaisance te conduit à l’ignominie permanente. Déluge ici, typhon là-bas, raréfaction ici, débordement violent là-bas. Rien n’est équilibré. Tu ferais mieux de regarder les choses en face. Tu verrais alors distinctement tous les désastres que tu provoques par la non maîtrise de tes mouvements…
Eau : Les forêts brûlent, diminuent, agonissent… les corps s’immolent pour crier la désespérance… Tu peux m’accabler mais toi comme moi devons assumer nos effroyables désordres, nos tragiques imprudences …
Soleil : Je reconnais ma responsabilité. J’essaye de faire au mieux mais les hommes ne m’aident pas. Ils pourraient m’utiliser comme énergie bienveillante mais ils convoitent toujours l’atome et son profit maximisé.
Eau : Ce n’est pas moi qui provoque les migrations du désespoir, les habitations de fortune sur les rives polluées, les déversements toxiques et les mégatonnes de plastique saccageant mes biotopes. Faisant disparaitre des milliers d’espèces marines dans les tréfonds de la sixième extinction de masse. Pourtant, j’éprouve un sentiment de honte absolue devant ce spectacle terrifiant. (un silence) je m’en veux tellement.
Soleil : Tu ne dois pas. Ce sont eux les véritables responsables. Leur intelligence technique s’est mise au profit de leur cupidité au lieu de nous utiliser à bon escient. Ils auraient pu être capables de grandes choses pour préserver l’humanité de manière équitable et juste. S’aidant de nous et de nos formidables ressources. Au lieu de cela, leur concupiscence les a perdu dans les méandres du pouvoir et de l’argent. Mais leur pouvoir n’est rien. Un jour, je les brulerai tous autant qu’ils sont. Ils ne méritent pas d’exister.
Eau : Point de manichéisme. Ils sont une pléthore à vouloir changer de cap.
Soleil : Je ne vois que de sombres égocentriques aux commandes de ce monde en perdition. Seules nos colères pourront les détrôner.
Eau : Je ne veux pas en arriver là. Je garde encore un mince espoir que l’humanité va se remobiliser et travailler de concert avec nous pour sauver ce qui peut l’être encore.
Soleil : Tu es limpide mais ta conscience est transparente et cristalline. Tu te fais bien trop bercer d’illusions par tes houles de la déraison. Les humains doivent disparaître avant que tout se désagrège.
Eau : C’est plausible. (un long silence) Si je t’aide à les éliminer, crois-tu pouvoir m’aimer un jour ?
Soleil : L'humain n'est jamais qu'une maigre branche de l'immense et dense arbre de l'ensemble du Vivant. Cela aurait dû naturellement l'inviter à l'humilité et à la déférence. Au lieu de ça, il s’est cru plus fort que les éléments naturels. Sa finitude est proche.
Eau : C'est grâce aux fêlures de ma source que tes rayonnements astraux peuvent s'immiscer en moi...
Soleil : Il y en avait des choses qui nous semblaient impossibles à faire jusqu'au moment où l’on a finalement pu les réaliser... Si tu m’aides à me débarrasser d’eux, je te serai à jamais reconnaissant.
Eau : Seulement reconnaissant ?
Soleil : Ne brulons pas les escales…


ACTE 2 : Aurore – jeune femme impétueuse et débordante d’énergie rencontre Crépuscule - jeune homme assez cynique. Le plateau est nu mais des volumes noirs en forme de cube jonchent l’espace scénique. Ils sont placés faisant deviner scénographiquement une sorte d’échiquier symbolique, où les deux personnages vont évoluer au grès de leurs interventions/oppositions…

Aurore : Je ne pensais jamais te rencontrer.
Crépuscule : La vie permet parfois l’improbable. L’Invraisemblable conjonction des opposés…
Aurore : Tu clos le jour chaque soir, et moi, je le fais renaître chaque matin.
Crépuscule : On m’associe plus généralement au déclin du jour. Néanmoins, je peux également être associé à son apparition. Lueur qui précède le coucher ou le lever du soleil, tout comme toi.
Aurore : Allons ! Tu sais que mon nom est associé au commencement, tandis que le tien, à la finitude…
Crépuscule : Peu importe. L’essentiel ne réside pas dans la sémantique des mots mais bien à l’attachement poétique que l’on projette sur eux. Tout est tellement inversé et nuancé dans l’univers…
Aurore : Es-tu stratège ?
Crépuscule : Que veux-tu dire ?
Aurore : Tu me semble habile pour retourner les événements à ton avantage… Sans doute est-ce dû à la privation d’espoir que tu incarnes ?...
Crépuscule : Montrer les limites du temps et de l’existence invite beaucoup plus à l’espérance que tu l’imagines avec simplicité. Vision idyllique de celle qui s’octroie les vertus de tout commencement. L’espoir né quand l’urgence d’agir frappe à la porte de nos désirs écroués, certainement pas dans l’interminable attente d’un soulèvement populaire illusoire…
Aurore : Tu es le sombre obscur, je suis la lumière naissante.
Crépuscule : Quel sectarisme ! Ainsi penses-tu sincèrement ce que tu dis ? Ne vois-tu pas le déclin de ta lumière au profit de la simplification des esprits éteints ?... Tu crois encore aux possibles révoltes et aux sursauts citoyens ; que ta lumière guiderait ? Fumisterie !
Aurore : Je suis consciente que la lumière s’étiole, que les idéaux s’atrophient, que les convictions s’amenuisent… Ce n’est pas pour autant que la solution viendra en écoutant ton insolence ! (introspective) On l’attend toujours ce fameux grand soir…
Crépuscule : Le bouleversement soudain et radical de l’ordre social existant n’arrivera sans doute jamais, j’en suis conscient. Mais tes chimères des matins qui chantent n’aideront pas non plus l’humanité à éclore, en s’affranchissant des oppressions.
Aurore : Qui porte encore l’espoir, selon toi ?
Crépuscule : L’humanité s’est introduite dans le clair-obscur…
Aurore : Un métissage de nos deux entités…
Crépuscule : Il s’agit plutôt d’une hybride perversion glorifiant l’immédiateté permanente. Le règne tout puissant de la satisfaction individualisée…
Aurore : Est-ce si condamnable de penser prioritairement à soi ?
Crépuscule : Au détriment d’une pensée collective, certainement.
Aurore : En fait, tu n’es pas stratège mais plutôt… inquisiteur.
Crépuscule : Je ne juge personne. Je constate la déliquescence des civilisations…
Aurore : Ta prétention te perdra. Il faut parfois rester humble devant l’évolution des mœurs…
Crépuscule : Drôle d’évolution. Le paraître domine tout. Mais, il est vrai que cette immoralité te convient, toi qui prétends apporter la lumière… Projecteurs des idoles… Néons des vitrines de la marchandise à profusion… Phare dans le brouillard des chavirés…
Aurore : Tu me connais si mal.
Crépuscule : On ne connait rien. Enfin, si peu…
Aurore : Ma lumière du jour ne sert qu’à apaiser les esprits tracassés. Transmettre un peu de volupté dans un monde où tant d’injustices foisonnent…
Crépuscule : Je préfère éteindre la lumière d’une pièce absurde.
Aurore : L’absurdité du monde…
Crépuscule : Affligeante dérive des masses instrumentalisées…
Aurore : Rien de nouveau sous le soleil…
Crépuscule : Je préfère la douce et pénétrante luisance de l’astre lunaire. Elle m’invite au silence…
Aurore : Je garde encore une maigre confiance en l’être humain. A sa capacité de réagir face aux tourmentes qui s’annoncent…
Crépuscule : J’apprécie ta ténacité. Je crains cependant que les dévastations soient irréversibles…
Aurore : Il faut juste espérer que je pourrai continuer à faire monter le jour et toi, le faire disparaître chaque soir. Et non définitivement…


ACTE 3 : L’Existence – entité représentée par des images projetées sur des volumes – rencontre La Mort – représenté par des écrans d’ordinateurs ou autres types d’écrans placés dramaturgiquement à divers endroits de l’espace scénique. Les voix sont amplifiées et diffusées de manière circulaire. L’ambiance générale se conjugue entre la menace et l’apaisement. L’Existence et la Mort ne conversent pas, elles s’adressent au public dans une forme de distanciation poétique 2.0
  
L’Existence : Il ne faut point la craindre.
Son omniprésence m'est de plus en plus familière.
Elle s'avance inexorablement vers moi pour m'apprivoiser, connaître mes failles anthracites, mes ressentiments internes, mes moult faiblesses et autres errements indéfinissables...
Alors, autant s'en accoutumer.
Apprendre à vivre avec elle à mes côtés...

La Mort : Volupté funeste. Accomplissement funèbre... L'énigme intarissable de votre devenir doit rester en suspension car c'est bien l'imprévisibilité de votre destinée qui vous magnétise. Dès lors, tout devient sublimation dans la nébulosité, dans l’occultation du réel…

L’Existence : Puis dit qu'un jour, c'est avec elle et elle seule que je cheminerai vers l'antre de la bête et les entrailles du temps...

La Mort : Il ne faut point me craindre.

L’Existence : Si elle devient mienne, je m'en accommoderai avec une certaine jubilation contondante.

La Mort : Sorte d'excroissance capiteuse calfeutrée au sein de la tanière des origines...

L’Existence : J'évoque la seule entité qui doit nous éveiller en permanence à la résonance de notre existence, à la volonté de ne laisser aucune minute s'égrainer dans les méandres de la médiocrité et de l'inertie. Vivre chaque instant, chaque moment, comme si celui-ci nous conduisait irrémédiablement à elle. J'évoque celle qui sous-tend et rythme nos hésitantes décisions, nos balbutiements venimeux, nos cafardes incertitudes...

La Mort : Entremêlements des vicissitudes dans le capharnaüm mental.

L’Existence : Certains la redoute, d'autres la méprise, certains veulent la repousser tandis que d'autres tentent de la fuir, alors qu'ils savent pertinemment bien qu'ils ne pourront lui échapper...

La Mort : Les morsures du temps sont inexpugnables.

L’Existence : Elle me permet de me comprendre, de saisir la chance impérieuse de vivre intensément chaque opportunité de rencontrer l’autre. Et d’observer le monde avec un regard complice. Prendre le temps d’écouter le bruit du vent dans les feuilles du vieux chêne, celui de l’eau qui ruisselle, de la pluie qui tombe sur le toit, celui des vagues qui se brisent sur les rochers… Regarder ce moineau qui se pose sur la corniche, ce chien qui s’ébroue... Ils passent à côté de si belles choses, les gens…
                                                                                        Qu’il est beau ce petit garçon qui s’amuse sur la balançoire avec son papi qui le pousse en riant… Et cette vieille dame qui s’assied dans le bus 36 en souriant aux passagers ; elle est si belle… Ce jeune couple qui s’embrasse au bord de la fontaine… La fille qui prend la main de son père malade pour lui transmettre tout son amour… Et le petit garçon qui joue avec son chat, vous le voyez ? Et cette dame qui vient nourrir presque tous les jours les pigeons de la place… J’aime cet homme que je ne connais pas et qui caresse ce gros chien caramel couché devant la friterie… Le père et son jeune fils qui donnent du pain aux canards du parc… Tu l’entends ce jeune garçon qui apprend à jouer du tambour répétant les traditions ancestrales ? Et ce vieux monsieur qui marche le long du canal, vous lui dites bonjour de temps en temps ? J’aime cette femme africaine qui chante en rue dans le dialecte de ses ancêtres… J’aime ces jeunes qui courent derrière le ballon dans le terrain vague et cet homme aussi qui s’agenouille pour refaire le lacet défait du bambin… Il faut prendre le temps de regarder le coucher du soleil, ce cumulus en forme de bonhomme de neige, cet escargot qui traverse le sentier et ce cheval qui galope crinière au vent… Oui, tout cela est beau.
 
Comme cette septuagénaire qui se maquille en retenant ses larmes, le jour des funérailles de son tendre époux qui la quitte…
Ça m’invite au silence et au respect…

La Mort : Le silence de ma musique. Avant d’arriver en mon domaine, ne répandez pas ce que je ne suis pas. Comparez à vous, je ne détruis rien. Je ne m’amuse pas du déclin. Je rappelle inlassablement aux quidams présomptueux leur infinitude chimérique et la responsabilité qu’ils ont d’exister au monde.

L’Existence : Paradoxalement, elle me plaît avec sa sombritude caractérisée. Alors, quand elle penchera sa symbolique sur mon corps presque éteint et froid, je m'en irai avec elle dans son voile noir sans la moindre retenue. Sereine et satisfaite d’avoir rempli mon existence d’une intensive humanité.

La Mort : Onirisme du vide et de l’extinction biologique...
Poudre de sable régénérant la terre de nos prédécesseurs.
La quintessence de la vie résonne en moi, tel le glas de vos insonores discours...
Beauté des paupières clauses dans l'infini temporel jonché, çà et là, de fleurs violacées et d'insectes lugubres aux pattes de fils mélancoliques...

L’Existence : Le long de cette plage sans âmes apparentes et égarée dans la brume matinale, la femme aux longs cheveux erra doucettement en cette matinée cafardeuse de novembre en songeant, de manière intarissable, à celle qui l'avait abruptement quittée quelques semaines auparavant. Et qu'elle aimait avec vénération pour tout ce qu'elle représentait d'essentiel à ses yeux... Inopinément, elle s'arrêta non loin du vieux phare à peine visible dû à la nappe nébuleuse perceptible dans l'atmosphère du lieu. Elle ramassa nonchalamment quelques fins galets et forma, avec précaution, la mosaïque du visage de celle qui hantait constamment ses pensées…
Le visage de cette dame qu'elle chérissait avec éminence depuis des lustres et qui était partie trop tôt dans l'accélération funeste de cette incurable et effroyable maladie...