Le ticket des friches

De cinema-theatre
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Le ticket des friches

une fable SNCF

Une dame, aux cheveux blancs et fins comme les rayons de lumière, vivait dans une petite maison à la lisière du bois.
Ne se nourrissant que de pâquerettes depuis quelques mois, elle décida de manger du poisson séché à la sauce feuille, pour fêter, seule, son anniversaire, avec une réminiscence exotique de sa vieille amie Congolaise, perdue de vue depuis si longtemps.
Elle partit donc avec son caddy à roulettes vers la gare la plus proche.
Elle dormit au bord de la rivière car le chemin était long et bercé par les pollens qui voletaient comme de petits esprits bénéfiques dans la lumière du soir, comme de bons présages.
Le lendemain, après avoir longé les rails, sans manquer d'y ramasser quelques ballasts aux formes curieuses, sur lesquels elle semblait pouvoir lire des signes inscrits pas des nomades antiques, et qu'elle chargeât dans son chariot, qui roulait péniblement sur les cailloux, elle aperçu la silhouette d'un quai de gare aux végétaux perçant les failles en dansant follement dans le vent.
Elle plissa les yeux derrière ses petites lunettes pour tenter de lire l'horaire de passage du prochain train pour Melun, sur le panneau aux caractères illuminés qui brillaient dans le brouillard de l'aube.
Il fallait attendre quelques heures et elle s'en réjouie car ce serait l'occasion de concocter un beau bouquet avec les pissenlits ayant su courageusement braver la rigidité du bitume ferroviaire, tout en complétant sa collection de métaux rouillés avec lesquels elle comptait instituer un musée de la mémoire industrielle.
Ayant achevé sa collecte, elle se dirigea vers le guichet, mais, sur le rideau fermé, un écriteau indiquait que l'agent était occupé à mesurer la largeur des quais, au cas où celle-ci aurait changé durant la nuit...
Il était indiqué qu'il fallait utiliser les automates pour prendre son ticket.
Effectivement, un gros cube métallique surmonté d'une vitre d'où émanaient des caractères cabalistiques avait pour enseigne "Rechargement de pass navigo, achat et échange de billets".
Le bar était le seul service fonctionnel, hormis l'immense équipe qui détruisait les quais pour y implanter d'autres panneaux indicateurs inutiles.
La vieille dame tourna vaillamment la molette de l'automate pour y rechercher sa gare de destination. Mais Melun ne figurait pas dans la liste, qui se limitait aux gares du canton.
Le barman lui indiqua la présence d'un gitan mystérieux, sur la place qui jadis était foulée par les malles des voyageurs.
Le gitan était assis devant une boite en carton posée à terre, où il avait écrit au marqueur : "Ticket système D"
Sur le carton, un téléphone nokia permettait d'accéder à internet et le gitan y avait installé un logiciel open source pour déchiffrer les billets au format pdf.
Un câble usb partait du téléphone et le reliait à une imprimante jet d'encre, elle même reliée à une batterie de voiture.
Le gitan avait développé un logiciel pour lancer l'impression des fichiers pdf depuis son téléphone nokia, dans un langage minable et interprété, un bricolage inventé dans les laboratoires pour envoyer des messages entre les terminaux, et que tout le monde avait fini par accepter sous le nom hospitalier d' "internet".
Hélas le câble usb était défectueux, tant le gitan avait généreusement imprimé de billets aux pauvres chineurs.
La dame sortit de son caddy un boulon de chemin de fer et le lui tendit.
Ce vieux métal rouillé étant un parfait conducteur, l'épissure des câbles fut tenue par la vieille, alors que le gitan lança l'impression du billet de train pour Melun.
Ils eurent les yeux remplis de joie et le train arriva.
Et, alors que la grand-mère était montée dans le train pour aller chercher son poisson séché en ville, le gitan lui lança : "Quelle joie de faire de si belles rencontres grâce aux dysfonctionnements systémiques !"

Julien, le 24 septembre 2021